Via : ddmagazine.com par Yves Heuillard Le 17 juin 2011
Le titre de cet article reprend à la lettre celui d’un article publié hier en anglais sur le site Internet de la chaîne de télévision en langue arabe Al Jazeera, l’un des plus grands médias de la planète. Selon Al Jazeera, des experts scientifiques croient que la catastrophe de Fukushima est bien plus grave que ce que les gouvernements veulent bien dire au public. La chaîne de télévision présente Fukushima comme la plus grande catastrophe industrielle de tous les temps, fait état de zones contaminées qui s’étendent et menacent l’humanité pour un millénaire.
La véritable étendue de la catastrophe nucléaire de Fukushima commence seulement à apparaître. Pendant des mois les autorités japonaises ont essayé de garder la tête dans le sable, minimisant la gravité de l’accident, les rejets radioactifs et les possibles effets sur la population. Depuis le 11 mars dernier les équipes sur place refroidissent avec des moyens de fortune ce qui reste des 4 réacteurs de la centrale de Fukushima.
On sait depuis peu que trois des réacteurs ont complètement fondu, et des scientifiques indépendants découvrent, bien au-delà de la zone d’exclusion des 20 km, des zones fortement contaminées. Des niveaux élevés de radioactivité ont été découverts par exemple dans les feuilles de thé de la région de Kanagawa a 280 kilomètres au sud de Fukushima (source Wall Street Journal).
Le 17 juin, sur le blog du Wall Street journal, Mariko Sanchanta raconte l’exode des femmes enceintes et des jeunes mamans vers d’autres parties du Japon, par exemple Osaka ; ou comment parfois, après l’accident, elles quittaient le pays. Elle décrit l’inquiétude des mamans de Kawashi, pourtant à 200 km de la centrale nucléaire qui, confrontées au manque d’information des autorités, se sont équipées de compteurs Geiger, et rompent le silence.
Des centaine de milliers de tonnes d’eau fortement radioactives
Arnie Gundersen, un ancien cadre de l’industrie nucléaire, a coordonné et dirigé des projets sur plus de 70 centrales nucléaires américaines pendant 39 ans. Il fut entendu comme expert dans le cadre de l’enquête sur l’accident de Three Mile Island. Il est aujourd’hui ingénieur en chef d’une société de conseil dans l’énergie (FaireWinds Associates).
Interviewé par Al Jazeera, Arnie Gundersen, explique qu’il ne s’agit pas seulement de juguler le refroidissement et la dispersion dans l’environnement de 3 coeurs de réacteurs nucléaires mais de 20 coeurs de réacteurs du fait des combustibles usés stockés dans les piscines attenantes aux installations : « ils arrosent [les réacteurs avec de l’eau] mais la question est de savoir ce qui sort du système parce que ça contient de l’uranium et du plutonuim. Que font-ils avec cette eau ? ». Dans quelques jours, il ne sera plus possible de contenir l’eau radioactive qui s’accumule au rythme de 600 tonnes supplémentaires par jour. Une usine de décomtamination des eaux, construite par Areva, devrait être mise en oeuvre, mais outre le fait qu’elle ne sera pas efficace à 100%, sera-t-elle opérationnelle à temps ?
« Les données dont je suis en possession indiquent des zones fortement contaminées plus loin que ce que nous avons eu à Tchernobyl. […] Des zones de plusieurs kilomètres carrés à 60 ou 70 kilomètres des réacteurs. Vous ne pouvez pas les nettoyer » ajoute Gundersen.
Al Jazeera rapporte qu’un expert auprès du gouvernement japonais fait état d’une zone de 966 kilomètres carrés (10 fois la surface de Paris, ndlr) potentiellement inhabitable autour de la centrale nucléaire en ruine.
Selon les propos de Gundersen, Tepco, l’opérateur de la centrale de Fukushima a recalculé les émissions de radioactivité dans l’environnement pendant la première semaine de l’accident. Le nouveau chiffre, toujours selon Gundersen, serait de 2,3 fois supérieur à ce qui a été annoncé pour les 80 jours qui suivirent l’accident.
Des poussières si infimes
Gundersen explique qu’en ce qui concerne les gaz radioactifs émis par les réacteurs pendant l’accident, les évaluations originelles restent les mêmes. Ce qui change, dans la nouvelle évaluation, concerne les émissions de poussières radioactives (césium, strontium, uranium, plutonium, cobalt, etc). Celles-ci sont difficiles, sinon impossibles à détecter, lorsqu’elles sont en très faibles quantités explique l’ingénieur, mais elles ne sont pas moins dangereuses pour autant.
Il révèle les mesures réalisées par des scientifiques indépendants en aspirant des volumes d’air importants au travers de filtres : les habitants de Tokyo ont respiré en moyenne une dizaine de particules radioactives par jour pendant le mois d’avril ; de l’autre côté de l’océan Pacifique, dans la ville américaine de Seattle, ce chiffre serait de 5 particules par jour.
Sur son site internet Arnie Gundersen explique comment ces particules viennent se fixer dans les poumons le tube digestif, les os, et comment, une fois dans l’organisme elles bombardent constamment une surface minuscule de tissus, pouvant provoquer des cancers, bien qu’absolument indécelables par le plus sensible des compteurs Geiger.
C’est pas de notre faute !
Au même moment, le quotidien japonais Asahi Shimbum met en cause la conception américaine des réacteurs japonais : « nous avons construit ces réacteurs de la manière indiquée par les américains, selon leurs spécifications, parce que sinon ils ne garantissaient pas la sécurité ».
Citons enfin Le quotidien indien, The Hindu. Dans un article sur la conférence de l’Agence Internationale de l’énergie atomique qui aura lieu la semaine prochaine à Vienne, article titré « Manque de volonté pour mettre en pratique les leçons de Fukushima », le quotidien dénonce les bonnes intentions pour renforcer les mesures de sécurité, mais la faiblesse d’engagements tangibles